L’urgence ne dispense pas la société d’un entretien préalable à la révocation de son dirigeant

Le risque pour la société d’un détournement des données essentielles au développement de ses produits que lui fait courir le maintien en fonction de son dirigeant ne l’autorise pas à révoquer celui-ci sans lui permettre de présenter ses observations.

Une cour d’appel décide que la révocation du président d’une société par actions simplifiée (SAS) a pu intervenir immédiatement sans entretien préalable de nature à permettre à l’intéressé, à l’issue d’un débat contradictoire, de connaître les motifs de la décision prise par l’associé unique et rejette, en conséquence, ses demandes indemnitaires, au motif que le projet élaboré par le président de concert avec le directeur général, visant à s’approprier les données essentielles au développement des produits de la SAS et caractérisant une réelle intention de nuire et donc une faute lourde laissait craindre à l’associé unique une déperdition rapide de ces données.

Cassation de cette décision par la Haute Juridiction. Est abusive la révocation, fût-ce pour faute lourde, du président d’une SAS décidée sans que celui-ci ait été préalablement informé des motifs de la décision prise à son encontre et mis en mesure de présenter ses observations.

À noter

Quelle que soit la forme sociale, le dirigeant révoqué abusivement a droit à réparation, même s’il est révocable ad nutum (Cass. com. 14-5-2013 no 11-22.845). La révocation est abusive si elle est accompagnée de circonstances portant atteinte à la réputation ou à l’honneur du dirigeant ou si elle est décidée brutalement, sans respecter l’obligation de loyauté dans l’exercice du droit de révocation (Cass. com. 14-5-2013 no 11-22.845 précité ; Cass. com. 25-11-2014 no 13-21.460).

Seules les circonstances qui entourent la révocation sont prises en compte pour caractériser l’abus. Ainsi, le dirigeant évincé ne peut pas obtenir réparation en avançant le fait que sa révocation est fondée sur des arguments fallacieux (CA Chambéry 8-2-2022 no 19/02215) ; réciproquement, la société ne peut pas échapper à une condamnation en invoquant un juste motif (Cass. com. 25-11-2014 no 13-21.460) ou une faute grave du dirigeant (Cass. com. 26-4-1994 no 92-15.884 ; Cass. com. 25-11-2014 no 13-21.460 précité). L’arrêt commenté s’inscrit dans cette jurisprudence. La spécificité des circonstances de cette affaire mérite tout de même d’être soulignée. En effet, non seulement le dirigeant avait commis une faute grave en projetant de s’approprier des données essentielles de la société, mais le risque que ce projet aboutisse croissait à mesure que le dirigeant restait en fonction. Étant donné le préjudice encouru par la société, une révocation immédiate pouvait sembler légitime. Ce n’est toutefois pas ce que retient la Cour de cassation.

Il est vrai que l’obligation de loyauté qui incombe à la société lors de la révocation implique un respect peu rigoureux du contradictoire. Comme le rappelle l’arrêt, le dirigeant doit seulement être informé, même de manière informelle (CA Versailles 4-10-2001 no 98-5192 ; CA Paris 9-3-2010 no 08/23637), des motifs de la révocation envisagée et mis en mesure de présenter ses observations. Le délai qui lui est accordé pour préparer sa défense peut être très court : la révocation peut être décidée au cours d’une assemblée convoquée le matin pour l’après-midi, dès lors que le dirigeant a eu connaissance des faits qui lui étaient reprochés dès sa convocation (Cass. com. 6-11-2012 no 11-20.582 ; dans le même sens, Cass. com. 10-2-2015 no 13-27.967). Il a même été jugé qu’un dirigeant, informé par l’associé unique de la société qu’il envisageait de le révoquer et convoqué à un entretien trois semaines à l’avance, n’avait pas à être informé avant l’entretien des motifs pour lesquels sa révocation était envisagée (Cass. com. 23-10-2019 no 17-27.659).

 

Cass. com. 11-10-2023 n° 22-12.361
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