Une assemblée à laquelle a participé un non- associé est-elle toujours nulle ?

La participation d’un non-associé aux décisions collectives d’une SARL constitue une cause de nullité des assemblées au cours desquelles ces décisions ont été prises dès lors que l’irrégularité est de nature à influer sur le résultat du processus de décision.

Une mère et son fils constituent une SARL à parts égales (250 chacun). Les parts de la mère sont cédées à des époux (le mari en acquérant 150 et sa femme, 100) et, le même jour, le fils cède 200 de ses parts à deux autres personnes. Au décès de la mère, sa fille, apprenant que les 250 parts cédées ne font plus partie de l’actif successoral, conteste la régularité de la cession et en obtient l’annulation pour faux. Le fils demande alors l’annulation des assemblées générales auxquelles les époux, censés n’avoir jamais eu la qualité d’associé (du fait de la rétroactivité de la nullité de la cession), avaient participé. Cette demande ayant été accueillie en appel, les époux reprochent aux juges d’appel de ne pas avoir recherché si la dévolution successorale des 250 parts aux enfants de la défunte avait exercé une incidence sur le sens des délibérations dont la nullité était demandée.

La Cour de cassation répond à cet argument par un principe inédit : il résulte de la combinaison des articles 1844, alinéa  1 et 1844‑10, alinéa 3 du Code civil que la participation d’une personne n’ayant pas la qualité d’associé aux décisions collectives d’une SARL constitue une cause de nullité des assemblées générales au cours desquelles ces décisions ont été prises, dès lors que l’irrégularité « est de nature à influer sur le résultat du processus de décision ». Tel était bien le cas en l’espèce, estime la Cour, qui écarte donc l’argument des époux : à la suite des cessions de parts litigieuses, le capital de la SARL s’était trouvé réparti entre l’époux acquéreur des parts de la mère (à concurrence de 150 parts), son épouse (à  concurrence de 100  parts), les deux acquéreurs des 200 parts du fils (à concurrence de 125 parts pour l’un et de 75 parts pour l’autre) et le fils (à concurrence de 50 parts).

Il en résultait, conclut la Cour, que les quatre acquéreurs ayant détenu ensemble 450 parts sur les 500 composant le capital social, l’irrégularité tenant à la participation des époux aux assemblées générales, alors qu’ils n’avaient pas la qualité d’associé, ne pouvait qu’être de nature à influer sur le résultat du processus de décision.

À noter

Bien qu’il vise la participation d’un non-associé aux décisions collectives de SARL, le principe énoncé par la chambre commerciale de la Cour de cassation, fondé sur le droit commun des sociétés, vaut, à notre avis, pour toute autre société, civile ou commerciale.

Ce principe est contraire à la position retenue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. 3e civ. 8-7-2015 n° 13-27.248). Dans cette affaire, les héritiers non agréés d’un associé de SCI avaient participé à une assemblée appelée à en élire le gérant ; la troisième chambre civile a déduit de la participation de ces non-associés à l’assemblée que son annulation était justifiée sans avoir à tenir compte de l’argument de la SCI selon lequel cette participation avait été sans influence sur le résultat du vote, les voix des associés qui avaient valablement voté étant suffisantes pour nommer le gérant. La question se pose de savoir si la troisième chambre civile alignera sa position sur celle de la chambre commerciale dans des litiges semblables dont elle serait saisie.

La condition ici énoncée par la Haute Juridiction (l’irrégularité doit être « de nature à influer sur le résultat du processus de décision ») n’est pas nouvelle. En effet, la Cour de cassation, posant les conditions dans lesquelles une décision collective de société par actions simplifiée peut être annulée pour violation d’une clause statutaire, a précisé, là aussi, que la violation doit être « de nature à influer sur le résultat du processus de décision » (Cass. com. 15-3-2023 n° 21-18.324).

Aux termes de l’arrêt commenté, la participation d’un non-associé aux décisions collectives « constitue une cause de nullité » des assemblées au cours desquelles ces décisions ont été prises dès lors que la condition posée est remplie. Faut-il déduire de cette formule que le juge est tenu d’annuler une assemblée pour laquelle il a constaté la participation d’un non-associé de nature à influer sur le résultat du processus de décision ? Ou bien conserve-t-il encore la liberté d’apprécier l’opportunité de prononcer une telle sanction en fonction des circonstances ou de l’intérêt social ? La réponse est incertaine.

 

Cass. com. 11‑10‑2023 n° 21‑24.646
© Lefebvre Dalloz

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